« On n’est pas que des parents »

Le mariage d’amour est une invention relativement récente. Jusqu’à la dernière guerre, on se mariait par devoir ou par raison, pour des fins de production et de reproduction. Le facteur sentimental a ajouté à l’équation du mariage une difficulté qui rend plus compliquée la notion de réussite et de bonheur au sein du foyer. Si, jadis, l’arrivée des enfants signifiait l’atteinte de l’objectif principal du couple, aujourd’hui, les enfants contribuent souvent à détourner ce dernier de son intimité.

Le désarroi face à la multitude d’« identités »

Fils, fille, conjoint(e), belle-fille, gendre, parent d’un enfant, d’une fratrie, belle-mère, grands-parents… La liste des rôles à jouer au sein d’une famille est encore longue. La difficulté ne se limite pas tant à porter les différentes casquettes qui jalonnent une vie, elle résiderait plutôt dans la manière de les doser et de jongler avec. Souvent un rôle peut en cacher, voire étouffer, un autre, vous l’aurez deviné, il s’agit des rôles duels : conjoint(e) – parent.

Premier enfant 

L’arrivée du premier enfant (désiré) apporte indéniablement son lot de bonheur, d’accomplissement et de satisfaction auprès des conjoints. En outre, elle provoque également un changement instantané dans le couple qui passe du jour au lendemain d’un statut conjugal à un statut parental. Chacun assume désormais un double rôle, en oscillant constamment d’une place de conjoint(e) à une place de parent. Malgré son petit poids, le bébé occupe une place extrêmement importante et introduit une distance qui bouleverse complètement la dynamique conjugale.

Les parents se trouvent dans l’obligation de redéfinir non seulement leur place d’homme et de femme au sein du couple, mais également de père et de mère. Au cas où cela ne se fait pas de manière spontanée et intuitive, ils doivent négocier pour retrouver leur symétrie autour du partage des tâches parentales (« C’est à ton tour de te lever cette nuit », « Ce n’est pas parce que je l’ai porté que j’en suis la seule responsable ») à travers lesquelles ils redéfinissent leur contrat conjugal. En cas de mésentente, un ressentiment peut s’installer et il risque fort d’empoisonner en douce tout sentiment de complicité et de désir.

L’enfant reflet du couple

Aussi, l’enfant devient-il le miroir du couple. Les parents lisent dans le regard du bébé l’image de leur relation. La mère assiste à la relation du père avec l’enfant et compare l’intimité qu’il noue avec lui à celle qu’il a établie avec elle et pourrait se dire : « Pourquoi est-il tellement tendre et câlin avec notre enfant alors qu’il l’est si peu avec moi ? ». De son côté, le père pourrait faire la même comparaison et penser : « Elle le couvre de baisers alors que moi elle me touche à peine ! »

Quand le couple conjugal se métamorphose en SARL ou Centre d’éducation…

Pour construire sa relation et la faire tenir, le couple a besoin d’éléments extérieurs. Ce sont souvent les enfants qui jouent ce rôle. Cela peut être également des projets en commun (achat ou construction d’un logement, vacances…). Tous ces éléments peuvent enrichir et consolider le couple, en tant qu’entité conjugale avant tout, ou au contraire constituer un poids écrasant.

Un mauvais dosage d’investissement moral et physique des partenaires dans des projets leur ferait courir le risque de mettre en péril leur évolution conjugale et leur relation amoureuse. Ils pourraient se réduire, inconsciemment, en couple exclusivement parental (au cas où les enfants deviennent leur unique préoccupation, leur seul sujet de conversation, compagnon indispensable lors des programmes et sorties), ou en SARL (quand ils ont une entreprise commune), parfois en hôpital (quand ils ont un membre de la famille ou un enfant malade), voire en centre de formation (quand ils se consacrent excessivement à l’éducation des enfants).

L’enfant projet

Il est clair que, dans la société contemporaine, l’enfant est devenu l’investissement privilégié des parents. Il faut « réussir » son « projet / enfant » à tout prix. Pour les parents, c’est un enjeu narcissique de taille. Les mères qui travaillent sont souvent animées d’un sentiment de culpabilité à cause du peu de temps qu’elles ont à consacrer à leurs enfants. De fait, elles compensent ce qu’elles considèrent comme « lacune » par un comportement exclusif, les détournant de leur rôle d’épouse.

Il en va de même pour le père qui risque de se plaquer une fonction paternelle étouffant sa place d’amant. Bref, un hyper investissement qui montre que, en ces temps de modernité stressante, le lien parent-enfant apparaît comme un refuge, vecteur de sens, gage de solidité et de fierté.

Et si on révisait nos priorités ?

N’oublions pas que le couple a été le socle de la famille. Il est souhaitable de l’alimenter par l’affection nécessaire. Le plus souvent, ce n’est pas l’absence de sexualité qui met le couple en danger, mais l’absence ou la défaillance d’intimité. Il serait heureux alors d’accorder de la place à cet aspect de l’union conjugale, de prévoir épisodiquement des moments de « retraite » en mettant en place des rituels (regarder un film inspirant, sortir en couple ou entre amis, partager une activité sportive, confier les enfants aux grands-parents…) tout en laissant, bien évidemment, les portes ouvertes aux improvisations.

Ne mettons pas tous nos œufs dans le même panier, ne misons pas exclusivement sur les enfants ! Auquel cas, nous encourons le risque de la routine, de l’infidélité, du syndrome du nid vide, ou de la belle-mère envahissante, ou encore de la grand-mère toujours disponible. A tout âge, préserver l’intimité du couple nécessite une prise de conscience, du temps et de la communication. C’est essentiel car, si l’on n’y prend pas garde, le modèle conjugal finirait par ressembler à une relation fraternelle, ce qui n’est pas le but.